Autant la pandémie du Covid-19 a eu des répercussions considérables sur le plan sanitaire, économique et social, en révélant les défaillances des divers systèmes et la précarité des catégories vulnérables, autant elle a eu pour effet de susciter en chaque être humain une profonde remise en question et une prise de conscience en le confrontant à sa propre capacité d’adaptation face à une situation inédite et peu commune.
Tout a été revu de fond en comble à l’aune du Covid-19 qui a bouleversé les liens sociaux et chamboulé le mode de vie, réglé pour beaucoup, comme du papier à musique et qui a dû faire de la place aux gestes barrières et surtout à la distanciation sociale.
La peur de l’inconnu
Si au début de l’épidémie, les Tunisiens ont eu le temps de se faire à l’idée de se cloîtrer chez soi pendant plusieurs jours pour se protéger du virus, en renonçant aux petites habitudes qui rythment leur train-train quotidien, c’est loin d’être le cas des centaines de Tunisiens rapatriés de l’étranger. Sur le départ, c’est avec un mélange d’appréhension, de scepticisme et de réserve qu’ils ont accueilli la décision d’être transférés, dès leur arrivée, dans des centres d’isolement obligatoire loin de leurs familles. A la peur d’être contaminé par le virus est venue s’ajouter la crainte de ce grand saut dans l’inconnu pour un grand nombre de compatriotes qui, dès leur arrivée, ont pris place dans les bus spécialement affrétés pour leur transfert. Arrivée des Etats-Unis le 20 mars dernier à bord d’un vol long courrier de 48 heures, Amel Djait, journaliste et fondatrice du guide magazine 1001Tunisie, a pris place dans le bus à la sortie de l’aéroport, après être passée par les différents points de contrôle classiques et avoir subi le contrôle sanitaire pour vérifier que les voyageurs rapatriés ne présentaient pas les symptômes du coronavirus.
Des consignes drastiques dans les établissements hôteliers
Mais, à bord du bus, l’ignorance du lieu où ils vont passer leur quarantaine ne fait que rajouter à la confusion et l’angoisse qui les rongent. Certains se sont notamment inquiétés d’être transférés dans une autre ville, loin de leurs familles, de leurs amis. Habituée à voyager, ayant baroudé dans plusieurs villes et pays, lucide, prévoyante et dotée d’un optimisme à toute épreuve, la journaliste spécialisée dans le tourisme ne se laisse pas pour autant démonter et décide de garder la tête froide. «La peur était présente dès le début. J’ai commencé à la ressentir à l’aéroport et surtout à bord de l’avion où il y avait une centaine de voyageurs. Cette promiscuité tout le long du trajet a suscité en chacun de nous cette crainte liée au risque d’être contaminé par le coronavirus», explique Amel Djait. La journaliste, et avec elle 49 autres voyageurs, ont de la chance d’être transférés dans un hôtel cinq étoiles de la station balnéaire de Hammamet. Mais sur place, les consignes drastiques de la gérante de l’hôtel qui travaille en étroite collaboration avec la direction régionale de la santé ne laissent planer aucun doute sur la rigueur et le sérieux qui vont marquer cette quarantaine. On ne badine pas avec les mesures de sécurité dans l’établissement. Afin que les résidents ne quittent pas leurs chambres, pas de remise des clés. Quant aux ascenseurs, ils ont été fermés pour que les personnes confinées dans leurs chambres ne puissent pas descendre. Le premier jour, une équipe de médecins a examiné les voyageurs, en vérifiant s’ils ne présentent pas de fièvre ou d’autres symptômes pouvant faire suspecter une contamination par le virus. «On a mis à notre disposition une ligne téléphonique directe afin d’appeler le Samu dès l’apparition des symptômes. On nous a informés qu’un médecin allait nous contacter deux fois par semaine pour prendre de nos nouvelles. Mais j’ai, toutefois, été surprise qu’on ne nous ait pas fait de test de dépistage à notre arrivée. On nous a seulement demandé de ne pas quitter nos chambres», raconte Amel Djait. Les chambres spacieuses ne suffisent pas à calmer l’angoisse et la frustration des voyageurs rapatriés, obligés d’obéir aux consignes et de se claquemurer. Afin de tromper l’ennui que peut faire naître l’enfermement, Amel Djait s’astreint dès les premiers jours à une routine basée sur plusieurs activités: la marche à pied sur place, une technique qu’elle a réussi à maîtriser grâce à une séance de sport sur youtube, la méditation, la lecture, la préparation d’un projet sur les hébergements alternatifs… rythment les longues et interminables journées qu’elle passe enfermée dans sa chambre d’hôtel. Le lien social est également maintenu grâce à de jeunes bénévoles qui leur rendent régulièrement visite pour leur faire les courses et leur ramener de la nourriture de l’extérieur. Les différentes applications comme WhatsApp, Messenger, Skype… et les réseaux sociaux lui permettent, par ailleurs, de maintenir le contact avec l’extérieur et de ne pas se sentir isolée. «J’ai pu rester en contact avec ma famille, mes enfants et les autres résidents qui ont pris l’avion avec moi et qui sont confinés dans le même hôtel», explique Amel.
Variation d’humeur d’un jour à l’autre
Mais cette routine bien huilée n’exclue pas les variations d’humeur et le blues qui s’emparent de cette journaliste au tempérament dynamique, supportant mal, parfois, de se trouver privée de sa liberté. «Il n’est pas facile d’être enfermée toute la journée dans une chambre sans pouvoir sortir pour prendre l’air. Il m’arrive de passer par divers stades d’humeur au courant de la journée. Je me sens joyeuse et puis quelques minutes après, je ressens de la tristesse et vice-versa. Les consignes de sécurité diffèrent d’un hôtel à l’autre et sont plus ou moins souples en fonction du choix de la direction de l’hôtel. Bien que j’aie veillé à respecter scrupuleusement les consignes de sécurité, je pense qu’il aurait été possible de nous laisser faire un peu de marche tous les jours en instaurant un système de rotation afin qu’on ne descende pas tous en même temps. Mais je comprends que l’administration de l’hôtel soit aussi pointilleuse sur les consignes de sécurité. Elle veille à la sécurité et à la protection des résidents confinés dans l’établissement. D’ailleurs, j’ai entendu parler d’un fâcheux incident survenu dans un hôtel à Sousse car le gérant de l’hôtel ne s’est pas montré aussi strict quant à l’interdiction de quitter les chambres. Alors qu’ils ne doivent pas quitter leur chambre, les résidents rapatriés ont profité du fait que la piscine soit remplie pour s’y baigner. L’un d’eux, porteur de coronavirus, a contaminé 25 personnes après cette baignade», explique Amel Djait.
Déplorant le manque de communication et l’absence d’un protocole au sein de l’établissement hôtelier qui indique l’horaire des visites des médecins, des livraisons de repas, du jour et de l’heure de départ à la fin de la quarantaine… la journaliste a décidé de mettre à profit son expérience en postant tous les jours une série de recommandations et de conseils sur sa page facebook qui est suivie par 15.000 personnes.
Le jour de départ ressenti comme une délivrance
«Des parents inquiets pour leurs enfants qui se trouvent à l’étranger m’ont contactée pour savoir si les conditions de confinement sont bonnes ou mauvaises et s’il est préférable que leurs enfants restent à l’étranger ou qu’ils soient rapatriés et mis dans un centre de quarantaine», raconte la journaliste confinée. Petite éclaircie dans la grisaille de cette quarantaine forcée: la célébration en ligne de la fête d’anniversaire d’une petite fille confinée dans le même hôtel et la tenue d’un webinaire sur le tourisme au temps du Covid-19 auquel elle a participé. «J’y ai pris vraiment du plaisir», note Amel Djait qui s’est également offert une pause-détente en se chouchoutant toute une journée.
Finalement les quatorze jours, enfermée dans une chambre d’hôtel, se sont écoulés avec leurs hauts et leurs bas. La journaliste, qui a célébré récemment son départ de l’établissement, vécue comme une délivrance, est ressortie plus aguerrie de cette expérience qui l’a confrontée avec ses propres doutes et ses propres angoisses. En plus de lui avoir révélé sa grande force de caractère et sa capacité à s’adapter aux situations difficiles, cette situation inédite lui a appris à se montrer davantage à l’écoute de l’autre et à apprécier les moments simples de la vie, en s’estimant chanceuse d’être en bonne santé. «C’est grâce à mon journal que j’ai pu tenir le coup», conclut-elle.